3 Aucun des "califes fidèles" ne tenta de faire de l'Etat un concurrent du secteur privé,
encore moins d'établir des monopoles. L'engagement d'Omar dans la distribution des terres
visait à décentraliser et à prévenir la montée d'un système de type féodal. En revanche,
l'intervention étatique dans l'économie devint un problème croissant au cours des siècles
suivants.
Sous la dynastie des Ommeyyades, Omar II pensait que la participation de l'Etat
au commerce était une forme d'abus de confiance imprévu : "Je suis de l'avis que le régent
ne doit pas commercer. De même, le fonctionnaire ne doit pas faire du commerce dans le
domaine de sa compétence (fi sultanihi ...) , car lorsqu'il s'engage dans le commerce, il
3 L'ushr représente la partie du zakat levée sur la production agricole. Le Prophète le fixa à un taux de 5 à 10
% en fonction de la proportion des coûts d'irrigation payée par l'utilisateur.12
abuse par inadvertance de son office dans son propre intérêt et au détriment d'autrui,
même si telle n'était pas son intention" (uz-Zaman 1981, 94). Cependant, il est intervenu
dans les cas où les coûts des risques encourus étaient assumés par l'Etat. Par exemple, au sujet
de l'industrie minière, il écrit : "J'ai trouvé que les gains de l'extraction étaient privés
(khas), alors que les dégâts étaient généraux (âm), aussi faut-il arrêter l'activité minière"
(94).
Après la chute des Abbassides, l'Etat n'avait pas tant de scrupules. Ashtor (1976,
1981) a étudié l'exemple de l'industrie sucrière égyptienne ; nous allons résumer ses
conclusions dans les paragraphes qui suivent.
Le boom au 11ème siècle dans l'industrie sucrière, jusque-là inconnue, qui a
commencé
"en Egypte et en Syrie sous les Fatimides, revêtit un caractère capitaliste. Les
méthodes compliquées de raffinement du jus de la canne à sucre ne pouvaient
être employées que dans de grandes usines ... Des industriels riches et
entreprenants ont dû faire des efforts coûteux pour améliorer les méthodes de
production, incités par l'espoir d'en tirer bénéfice. La production sucrière
bénéficia également de la liberté d'entreprendre. La tentative par l'étrange et
confus al-Hakim de la monopoliser, n'a jamais été renouvelée" (Ashtor 1976,
199).
Au cours de la seconde moitié du 13ème siècle, le nombre d'usines sucrières en
Egypte explosa alors que les emirs mamelouks, attirés par la profitabilité élevée, rompirent
avec la loi musulmane et les pratiques anciennes pour faire concurrence aux entrepreneurs
privés. Les sultans étaient fortement impliqués dans l'industrie sucrière, y compris dans les
usines royales de Damas. Les emirs et les sultans étaient exonérés de l'impôt spécial acquitté
par les paysans, par ailleurs soumis à l'obligation de corvée. De plus, les emirs et certains
industriels favorisés avaient des "arrangements" particuliers pour ne payer d'impôts que sur
une petite part de leur production effective (1981, 99). Les marchands fortunés ne pouvaient
résister à des tactiques telles qu'une politique fiscale discriminatoire et la confiscation directe
(musadara). La propriété des usines fut transférée à l'aristocratie jusqu'au début du déclin du
régime féodal à la fin du 14ème siècle.
Non contents de bénéficier de matières premières moins chères et des
exonérations fiscales, les emirs et les sultans ont eu recours à la violence contre leurs
concurrents privés. La technique principale utilisée fut le système tarh, sous lequel les
entrepreneurs étaient obligés d'acheter du sucre aux emirs et aux sultans à des prix d'inflation.
Abrogé en réaction à l'opposition populaire, le système est réapparu en 1399, lorsque
"Tenem, le gouverneur rebelle de Damas, a vendu du sucre par la force aux habitants de
la ville" (102).
Le sultan mamelouk Barsbay (1422-1438), sous prétexte que le déclin
économique de l'Egypte et de la Syrie sous le poids d'un interventionnisme public croissant, fit13
trois tentatives sans succès pour convertir la production sucrière en un monopole d'Etat (103).
Dans les années 1490, le sultan de l'époque, face à une nouvelle vague d'opposition à l'achat
forcé à deux fois le prix du marché, lui substitua des taxes sur le commerce de sucre. Cette
mesure étrangla complètement la concurrence, puisque les agents du sultan bénéficiaient d'une
exonération (104).
La gestion des usines appartenant aux emirs et aux sultans était corrompue. Sous
le règne de Baybar (1223-1227), on surprit un gestionnaire samaritain et ses assistants à
détourner 300 000 dirhams provenant d'une vente de sucre. En dehors de la corruption, la
suppression du marché conduisit à la stagnation au niveau technologique. Au cours du 13ème
siècle, l'industrie sucrière musulmane avait été un secteur de pointe. Marco Polo parla des
techniciens égyptiens du raffinement qui allaient jusqu'en Chine pour enseigner leurs méthodes
de production. Les spécialistes syriens enseignaient encore "leurs méthodes à Chypre
jusqu'à la seconde moitié du 15ème siècle" (105). Les Chypriotes se vantaient de "vendre
du sucre de Damas produit à Chypre" (105). Au 15ème siècle cependant, les innovations
technologiques du monde chrétien commençaient à apparaître : la substitution des chevaux aux
boeufs dans les moulins, rendue possible par l'introduction d'un attelage plus rigide,
l'introduction en Sicile d'une nouvelle presse sucrière entraînée par une roue hydraulique etc.
Ces innovations ont permis d'augmenter l'efficacité de l'industrie sucrière européenne, que les
industriels musulmans usés et démotivés ne pouvaient concurrencer (106). Même avant
l'apogée de l'innovation technologique européenne, l'intervention dans les marchés sucriers
musulmans avait fait grimper les prix au-dessus de ceux du sucre comparable en provenance
d'Espagne, de Sicile et de Chypre (111).
Le déclin économique entraîna une baisse de la demande. Les registres
commerciaux en Italie témoignent de la recherche de nouvelles sources de sucre. Des
documents vénitiens du début du 15ème siècle font état d'un déplacement des fournisseurs de
molasse de l'Egypte vers Palerme (113).
Au début du 15ème siècle, le sucre ainsi que la plupart des industries de monopole
(le savon, le papier, la soie et d'autres tissus, le verre) se sont effondrées. "[A]l-Makrizi écrit
qu'après 1404, les gens étaient obligés de s'habiller en vêtements de laine importés par
des marchands européens" (1976, 307). La responsabilité des usines de l'Etat dans le déclin
technologique de l'industrie du Proche-Orient est incontestable. Disposant de matières
premières moins chères (en partie fabriquées par les fermes royales), les "sultans et les emirs
ont utilisé leur pouvoir pour entraver les activités de leurs concurrents par la voie de
l'impôt ou par la mise en place de monopoles" (309). Entre temps, une gestion corrompue
ruinait les usines de la royauté. "La production industrielle est descendue au niveau des
petits ateliers qui ne pouvaient se permettre des expériences longues et coûteuses" (309).
D'après Ibn Khaldun, la qualité des compétences en matière de construction
navale avait baissé au point qu' "en cas de nécessité, les Etats devaient avoir recours à une
aide extérieure" (309). Autre exemple : à mesure que le savoir-faire musulman en matière
d'incrustation en argent disparaissait, les Vénitiens ont progressivement appris cet art des juifs
de Syrie.14
Le déclin de la production de blé marqua un tournant. Le blé avait été le produit
principal, mais pendant la dernière décennie du 15ème siècle, l'on consommait du pain de milet
et de dhura au Caire, du pain de l'orge à Damas, même chez le gouverneur et dans les palais
princiers. Avec l'effondrement et l'exode vers les villes, effluèrent des milliers de pauvres sans
emplois, victimes de maladies chroniques et épidémiques. Formant une population désespérée,
ils constituèrent une base de recrutement pour les factions rivales et les bandes rebelles. "La
strate la plus basse de cette classe étaient les harafish, des mendiants que l'on trouvait à
proximité des mosquées et ailleurs, et qui s'alliaient à certains groupes de dervishes"
(320). Les ouvriers qualifiés se portaient mieux (gagnant environ 6 2/3 ashrafis par mois)
uniquement à cause de leur petit nombre. Les petits-bourgeois, en revanche, "étaient
appauvris par la politique fiscale du gouvernement mamelouk" (320).
En dehors du fardeau fiscal pesant sur le commerce, il y avait de nombreuses
autres exactions. Nous avons déjà mentionné le tarh qui obligeait les marchands à acheter des
produits à des prix exorbitants à leurs concurrents publics. De telles mesures étaient
régulièrement abolies, puis réinstaurées. La jurisprudence musulmane n'autorisait pas le
contrôle des prix à l'exception des périodes d'urgence, mais les Mamelouks réglementaient les
prix à leur gré (320).
Simultanément, des modifications du régime foncier ont donné naissance à un
système féodal mettant le bourgeois dans une position inférieure. Des théologiens, jadis
influents, désormais nommés et rémunérés par l'Etat, devinrent trop dépendants pour pouvoir
refuser de collaborer. L'Etat évita de répondre à ceux des théologiens qui ont effectivement
protesté contre ses exactions en essayant de les séduire par des mesures telles que des décrets
contre les chrétiens et les juifs. Apparut alors une aristocratie intellectuelle composée de juges
et de professeurs nommés par le gouvernement. Les classes défavorisées provoquaient des
émeutes massives, mais elles ne formaient aucun mouvement révolutionnaire organisé. La
cooptation des sages religieux mina toute forme de jihad contre le régime oppressant (322).
Dans la seconde moitié du 15ème siècle, malgré la balance des paiements
favorable due au changement de routes commerciales, et à l'offre continue d'or soudanais,
l'économie s'est effondrée, "pillée par les militaires, et ses grandes réalisations
civilisatrices détruites par l'incapacité d'adopter de nouvelles méthodes de production et
de nouveaux styles de vie" (331). La ruine économique a conduit à l'effondrement politique
et militaire. Ashtor cite les raisons de l'effondrement : la décadence de l'industrie égyptienne ; le
luxe extravagant des classes dirigeantes ; la thésaurisation (conséquence de la musadara ?) ; et
les dépenses militaires (327). Simultanément, les Portugais devenaient plus puissants et leur
saisie d'énormes quantités d'or soudanais dans la seconde moitié du 15ème siècle s'est fait
sentir au Caire (329-330).
Le développement de la science économique islamique15
La pratique économique islamique peut être assimilée à un abandon irrégulier mais
progressif des principes énoncés dans le Coran et la Sunna. Le développement de la théorie
économique pendant cette période reflète la tension entre les sages qui tentent de justifier la
pratique des Etats musulmans et ceux qui essaient de les ramener aux principes de la charia.
La science économique en tant que telle n'existait pas à l'époque du Prophète, ni à
celle des califes de l'âge d'or. L'économie politique de l'Islam trouve ses origines dans les
commandements normatifs du Coran (cf. Ahmad 1986) ou sont déduits de la pratique du
Prophète. Par exemple, uz-Zaman (1981, 93) affirme que "le saint Prophète lui-même
n'aimait aucune forme de contrôle des prix ..." Son intervention dans le marché se limitait à
dévoiler des pratiques interdites, telles que la fraude. Omar et les califes qui lui succédèrent ont
fait preuve d'une tendance plus réglementaire, mais leurs objectifs étaient les mêmes. Ainsi,
Omar II ordonna à ses gouverneurs de laisser au marché le soin de fixer les prix : "Dieu a créé
la terre et les eaux pour qu'on y découvre sa bonté. Ainsi, laissons les commerçants
voyager librement sans intervention aucune. Comment pouvez-vous vous interposer
entre eux et leur gagne-pain ?" (93). Vers la fin de cette période, sous le règne d'Ibn
Khaldun, l'économie politique se développe en tant que science définie, au sens moderne du
terme. Regardons son évolution pendant les années qui séparent ces deux dates.
La science politique, traitée par Aristote et d'autres penseurs de l'Antiquité,
précède la science économique. Ibn Abu-ar-Rabi (9ème siècle ?) fut peut-être le premier
auteur politique à aborder les problèmes économiques. Il décrit ce qui correspond sans doute à
l'homo oeconomicus, inspiré par la vision coranique de l'homme comme étant un être doté de
libre-arbitre et qui tente d'améliorer sa situation matérielle. L'homme "réussit dans ses projets
tant qu'il ne dévie pas de ce sens de discrétion judicieuse et de la perception des
conséquences et tant qu'il n'est pas vaincu par de mauvais désirs" (Sherwani 1970, 45).
Ibn Abu ar-Rabi discute de la division du travail en termes du besoin qu'a le
menuisier du forgeron, de la manière dont les industries se complètent, et de la division de la
population entre la ville et la campagne. Il décrit un processus par lequel les petites unités
politiques se regroupent progressivement en des plus grandes. Il adhère aux préceptes
nomocratiques de l'Islam en affirmant que l'objectif de ces unités politiques n'est pas de faire la
loi, mais d'appliquer la loi qui protège le peuple contre l'injustice (46-47).
Il est un peu plus idéaliste dans ses prescriptions pour le Leviathan ou le leader
idéal sur lequel aboutit ce processus. Le leader doit posséder un grand nombre de qualités, y
compris l'amour de la vérité et la justice, et la crainte de la tyrannie et l'oppression, et il
"devrait vivre pour le seul désir d'être le bienfaiteur de son peuple" (50). La première
règle à laquelle le gouverneur doit se soumettre est que l'obéissance des sujets doit être fondée
sur "une inclination naturelle et dans la croyance sincère que l'obéissance à la loi est
bonne pour tous" (50). Cela suppose que la justice soit le souci primordial du gouverneur
(51).
Les droits relatifs à l'économie comportent le paiement des dettes, le respect de la
parole donnée et l'obligation de fournir des preuves. La tâche du gouvernant est de permettre à16
ses sujets de s'enrichir. L'Etat à son tour a besoin des richesses afin "de protéger les
frontières contre tout ennemi extérieur, d'extirper ce que [le gouvernant] considère être
mauvais, d'accroître le pouvoir des faibles et des opprimés, de libérer ceux qui sont
emprisonnés pour cause de non-paiement de leurs dettes, et ainsi d'organiser le
gouvernement de sorte que tout soit fait pour améliorer le sort du peuple" (55). L'auteur
insiste sur la nécessité d'équilibrer le budget de l'Etat pour éviter de faire obstacle à ces
objectifs (55).
Curieusement, bien qu'Ibn Abu ar-Rabi conseille aux serviteurs de l'Etat d'étudier
l'histoire (48-49), il l'ignore lui-même, et serait également incapable d'appliquer l'approche
scientifique de l'économie politique qu'il préconise. Il semble mélanger des idées tirées de
traductions des Grecs anciens, qui lui étaient accessibles, avec des idées islamiques. La notion
islamique primordiale est que le roi n'est pas au-dessus de la loi, bien au contraire, mais à la
manière de Platon, l'auteur semble s'attendre à ce qu'il en soit ainsi par l'unique pouvoir de la
personnalité idéale du roi. La citation de l'allocution d'inauguration d'Abou Bakr reprise au
début du texte démontre cependant que sous le règne des premiers califes, c'était le peuple et
non la perfection d'un roi idéal, qui devait assurer que le leader resterait respectueux de la Loi.
Abu Nasr Muhammad ibn Muhammad ibn Tarkhan al-Farabi (870-950) fut un
étudiant des philosophes chrétiens Abu Bishr Matta ibn Yunus (mort en 939) et Yuhanna ibn
Jilad, et contemporain de deux soufistes, Abu akr ash-Shibli et Mansur al-Hallaj. A son
époque, les dynasties turques ou persanes, souvent chiites, éclipsaient le calife, arabe et
sunnite. Au 10ème siècle, l'autorité s'est déplacée du calife et de son vizir (premier ministre)
vers les emirs dont la légitimité était fondée sur la seule puissance militaire. Rapidement, l'un
d'eux, Ahmad ibn Buwaih, adopta le titre de sultan ("autorité") et brigua le titre de "roi" .
Les écrits politiques principaux de Abu Nasr al-Farabi sont siyasat-ulmadaniyah
(le Régime Politique, traduit par Najjar en 1963) et ara'a ahlil madinat-uldadilah
(Opinions du Peuple de la Cité Vertueuse). Avec Farabi, nous voyons l'apparition,
dans la pensée islamique, du concept grec de la Grande Chaîne de l'Etre et l'émanationisme qui
joua un rôle dans la montée de l'autoritarisme dans le monde musulman (Ahmad, 1992). Il
pose un cadre néo-platonicien dans lequel la faculté de raison est un croisement de concepts
aristotéliciens et platoniciens qui comporte une chaîne de pensée qui émane de Dieu et
comprenant un "Intellect Actif" qui réunit le monde transcendent et le monde sublunaire
(Netton 1992, 50). "En vertu [de l'Intellect Actif]", écrit al-Farabi (Najjar 1963),
"l'homme est capable de faire soit ce qui est louable, soit ce qui est blâmable, ce qui est
noble ou bas ; et c'est ainsi qu'existent la récompense et la punition."
Al-Farabi affirme que la prospérité requiert des assemblées telles que des villages
ou des villes, qu'il qualifie de groupes "imparfaits" (au sens d'incomplets) qui sont au service
de groupes "parfaits" (complets), tels que des villes ou des nations (Najjar 1963, 32). Il
identifie des barrières naturelles (par exemple géographiques) et des barrières artificielles (par
exemple linguistiques) à l'unité naturelle de l'Homme, qui séparent l'humanité en des groupes
hostiles, malgré la valeur évidente de la coopération (32-33). Farabi note qu'il existe plusieurs
moyens susceptibles de concourir à la formation d'un Etat : la force, le patriarcat, et les17
relations matérielles, par exemple. (Dans la dernière proposition, suggère-t-il un fondement
économique de l'Etat ?) Il décrit l'organisation sociale conduite par le Guide Suprême (ra'is alawwal)
sous la renonciation réciproque des droits : "[Les hommes] se réunissent, étudient
l'état des faits, et chacun d'eux abandonne au profit des autres une partie de ce par
lequel il aurait pu vaincre l'autre, en en faisant une condition susceptible de garantir la
paix et de ne rien prendre à autrui, sauf sous certaines conditions" (Sherwani 1970, 71).
Le ra'is al-awwal impose aux membres de la société une structure hierarchique
qu'al-Farabi, à l'instar des Européens du Moyen Age, assimile à un organisme. Ainsi, la grande
Chaîne de l'Etre, d'après Farabi, est visible dans le sens que "le prince de la Cité fait figure
de la Cause Première (Dieu) ... Ensuite, la hiérarchie des êtres descend progressivement,
chacun d'eux étant à la fois gouverneur et gouverné, jusqu'à ce qu'on arrive aux
matières premières et aux éléments qui ne connaissent aucun gouverneur, mais qui sont
soumis et qui n'existent que pour servir les autres" (Najjar 1963, 39). Al-Farabi semble
penser que seuls les prophètes sont qualifiés pour assumer ce genre de leadership suprême :
"Un tel homme est un vrai prince, selon les anciens ; il est celui dont il faut
dire qu'il reçoit la révélation. Car l'homme ne vit la révélation que lorsqu'il
atteint ce niveau, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas d'intermédiaire entre lui et
l'Intellect Actif ... C'est à ce moment que le pouvoir qui permet à l'homme de
comprendre la définition des objets et des actes et comment les orienter vers le
bonheur, émane de l'Intellect Actif vers l'intellect passif. Cette émanation qui
procède de l'intellect actif au passif par la médiation de l'intellect acquis,
constitue la révélation". (36)
On peut interpréter ceci comme une sécularisation du processus de révélation, ou
bien comme une tentative de remplacer le roi-philosophe par des prophètes. Cette
interrogation dépasse cependant le cadre de ce texte. Ce qui nous intéresse est que l'on peut
discerner l'héritage islamique dans l'exigence d'al-Farabi selon laquelle les leaders incapables
de recevoir la "révélation" devraient suivre les lois adoptées par leurs prédécesseurs. Il
qualifie un tel leader de "prince de la loi (sunna)" (37).
Al-Farabi, essaie-t-il d'expliquer la pensée grecque en termes islamiques (cf.
Butterworth 1980, 13), ou tente-t-il d'arriver à synthétiser les deux traditions ? Quoi qu'il en soit,
il a introduit un concept dans la réflexion musulmane qui, intentionnellement ou non, prépare le
terrain d'une déviation de ce qui représentait jusque-là la sagesse musulmane conventionnelle.
Ainsi, al-Farabi et les falasafas représentent un tournant, après lequel émergent deux attitudes
rivales vis-à-vis de l'Etat : l'une est sémite et arabe et s'enracine dans l'histoire islamique ; l'autre
est persane et aryenne, avec un vernis musulman. Les auteurs qui suivent optent pour l'une ou
l'autre de ces orientations. Sherwani (1970, 98-99) écrit : [N]ous trouvons que certains
écrivains ont le sentiment que la meilleure chose possible pour un Etat consiste à raviver
les principes observés à l'époque de l'Apôtre de l'Islam et les quatre premiers califes, alors
que d'autres reconnaissent franchement l'impossibilité d'une telle renaissance, acceptent
comme un fait accompli les nouveaux facteurs politiques apparus depuis, et voudraient
détourner le progrès politique vers ces nouveaux canaux." Ces deux écoles dominent la18
pensée aux 10ème et 11ème siècles. Abu'l Hasan Ali ibn Muhammad ibn Habib al-Mawardi
(974-1058), penseur shafi de tendance rationaliste, représente les rénovateurs et Amir Kai Kaus
représente les partisans d'Ali (99).
Lorsque Buwaihid Jalalu'd-Dowlah proposa au Calife de lui accorder le titre de
maliku'l-muluk (Roi des rois), Mawardi rétorqua que ce titre ne pouvait appartenir qu'à Dieu
(100). Mawardi
"énumère les devoirs de l'Imam ou du Calife et dit qu'il doit protéger la Foi,
juger les litiges entre hommes afin qu'aucun gouvernant ne puisse tyranniser
les autres, défendre la liberté de l'Etat, punir les criminels, assurer le juste et
régulier paiement des salaires et des émoluments, nommer des hommes
honnêtes et fiables pour le représenter dans le pays, et ne jamais
s'abandonner à une vie de luxe, ni de prière, pour qu'il ne soit jamais forcé de
renoncer à la gestion du royaume à d'autres" (103).
Mawardi énonca quatre tâches de l'Etat : l'Armée ; les frontières provinciales ; la
nomination et la révocation des fonctionnaires ; le Trésor (106). Sous le règne des Abbassides,
comme à l'époque des premiers califes, le commerce intérieur était entièrement libre et "il était
considéré comme un acte d'impiété d'imposer un droit douanier quelconque sur le
transfert d'un bien d'un endroit à un autre au sein du royaume" (107). Toutefois, Mawardi
autorisa Kaïbu'd Diwan "à faire de nouvelles lois du moins pour les territoires conquis et
dans les colonies ..." (107). Si les juges étaient nommés par le gouvernement, Mawardi
essayait de leur assurer une certaine indépendance en interdisant leur révocation et en
décourageant leur démission (107).
Pendant cette période, la conception islamique d'un chef d'Etat sous la contrainte
du droit divin était menacée par les notions persanes et turques d'un autocrate idéal.
L'approche pragmatique de Nizam al-Mulk et de Kai Ka'us dans leur conseil aux élites
politiques a été résumé par Butterworth (1980, 21-29). Partant du droit des élites de
gouverner, ils divergeaient à la fois des philosophes, qui tentaient de le justifier, et des
revivalistes, qui tâchaient de subordonner les gouvernants à la charia. Al-Ghazali fut l'autre
grand savant à se pencher sur la théorie politique islamique. Après lui prédomina la nouvelle
école de pensée dans laquelle le prince idéal éclipsait la loi divine établie.
Abu Hamid al-Ghazali (1058-1111) arguait que la division du travail a permis
l'apparition des villes, et qu' "il est dans la nature humaine que lorsque les hommes vivent
ensemble et interagissent ... des conflits et des querelles en résultent nécessairement ... et
s'ils étaient laissés à leur sort, ils s'entretueraient dans des luttes et guerres continues"
(147). Il dit que c'est uniquement parce que les hommes n'agissent pas spontanément d'une
façon juste, mais négligent les droits à la vie et à la propriété d'autrui qu'une science juridique
s'impose (151). L'approche historique d'Al-Ghazali est une voie moyenne entre Mawardi et
l'école du "Miroir des Princes" influencée par la pensée turco-persane (153). Il fixe des
limites strictes à l'imposition : tout ce qui va au-delà du Droit est illégal, même en ce qui
concerne les amendes et les tributs. "Il va jusqu'à dire qu'un honnête homme qui reçoit une19
dotation du Trésor royal devrait s'assurer que les fonds ne proviennent pas de telles
sources illégales ..." (159).
Tout en reconnaissant le besoin d'un service intérieur de renseignements, alGhazali
"établit des limites précises à l'interférence externe, par l'Etat et sous toute autre
forme, dans la vie privée des particuliers. Il cite l'histoire du Calife Omar qui voulait
espionner un homme en escaladant le mur de sa maison. Le propriétaire lui dit qu'il avait
agi contre les principes du Coran qui ordonne 1) de ne pas s'immiscer dans les secrets
d'autrui [69:12], 2) de ne pas entrer chez quelqu'un autrement que par la porte
principale [2:189] et 3) de ne pénétrer dans aucune maison sauf la sienne qu'après avoir
salué le propriétaire des lieux [24:27]" (162).
Si al-Ghazali sympathisait en premier lieu avec les rénovateurs dans le domaine
politique, ses penchants pour les soufistes sapèrent ses efforts. D'après les premiers
musulmans, le monde était un lieu où l'homme faisait son devoir en tant que "vice-roi de
Dieu", alors que le néoplatonisme chrétien et l'anti-matérialisme hindou qui marquaient la
pensée soufiste, militaient pour que l'homme renonce aux objets matériels. Al-Ghazali,
historiquement considéré comme celui qui concilia l'Islam traditionnel avec le soufisme, argua
que "l'usage des ornements dans les domaines autorisés n'est pas contraire à la loi, mais
il incite à les aimer, ce qui rend difficile à y renoncer ensuite. Le Prophète n'insista pas
sur le besoin de renoncer au monde" (al-Ghazali 1971, I 86). Pourtant, en glorifiant les
ascètes (IV, 124-233), il donna le ton pour un refus du progrès matériel qui devait caractériser
l'évolution de l'Islam par la suite.
Après al-Ghazali intervint un événement majeur qui empêcha la flexibilité de la
société islamique de tirer avantage des nouvelles réalisations de l'économie politique - et de
toutes les autres sciences. Les mongoles qui avaient conquis l'essentiel du monde musulman
trouvèrent dans le concept du prince idéal qui avait infiltré la théorie politique musulmane par
ailleurs nomocratique, la justification pour imposer leur propre loi dynastique. Les arguments
proto-hobbésiens pour le Leviathan rejoignaient la croyance traditionnelle des Mongols dans la
monarchie absolue. Le régime juridique des gouvernants était protégé de la concurrence ou de
la critique par les interprètes de la charia (ulamaa) qui énonçaient la fin du processus de
découverte, puisque "la porte vers l'ijtihad" avait été fermée. En enfermant la jurisprudence
islamique dans le taqlid, l'imitation aveugle du passé, on lui garantissait une application limitée.
Hodgson (1974, 406) résume la situation comme suit :
"Le rôle de l'ulamaa dans la charia que le gouvernant devait appliquer fut
limité : car la doctrine de taqlid, de l'adhésion à une école juridique donnée,
fut élaborée jusqu'à stipuler que les 'portes de l'ijtihad' avaient été fermées au
9ème siècle - assertion non sans précédent, mais qui reçut une substance par
des compilations juridiques au 15ème siècle faisant autorité, dans lesquelles il
fut établi exactement ce qu'était la forme finale de la loi avant de fermer
l'investigation ; la charia ne devait pas être un instrument continu
d'opposition, mais un ensemble fermé de règles susceptibles d'être adaptées et
absorbées dans des traditions juridiques plus vitales".20
Pendant cette période au cours de laquelle fut établi le principe de taqlid, les
savants qui continuaient à s'engager dans l'ijtihad tels que les grands renovateurs Ibn Taymiyah
et Ibn Khaldun, faisaient exception. Leur tâche principale se ramenait à formuler les théories
susceptibles d'expliquer le déclin économique du monde islamique. Puisque l'establishment
politique sunnite considérait que la voie de la pensée indépendante et originale était fermée, les
réflexions de tels hommes sur l'économie politique ne pouvaient être mises en pratique.
Après la conquête de Bagdad par les forces de Hulagu en 1258, Ibn Taymiyah
(1263-1328) observa le recul progressif du monde islamique et conclut qu'il fallait instaurer une
nouvelle économie politique fondée sur "ce qui a fait la position forte et dominante de
l'Islam au début de son histoire ..." (Sherwani 1970, 169). Prenant ses distances par rapport
au concept platonique du chef idéal, il retourna aux racines du droit islamique : le Coran et la
pratique du Prophète. Il considère que l'autorité du prince repose sur un "contrat bilatéral"
entre celui-ci et les représentants légitimes de la population, fondé sur le contrat du Prophète
avec le peuple de Yathrib à Akaba, qui aboutit à l'instauration de la Cité-Etat de Médine
(175).
Ibn Taymiyah rejette la notion chiite de l'imam infaillible (et par là la notion
platonicienne du prince idéal) en affirmant qu'une telle personne ne saurait exister ; de même, il
estime que les qualifications de l'imam énumérées par les sunnites ne sont pas remplies après
les quatre premiers califes (177). Il préfère retourner à la fonction du droit: son objectif est
"d'assurer le règne de la justice et le bien-être du peuple. Puisque le bien-être matériel de
la population implique paix sociale et droits individuels, il incombe à l'imam de faire le
droit pour atteindre cet objectif. C'est en ce sens que Dieu vient au secours d'un Etat
juste, même lorsqu'il se compose de non musulmans, alors qu'il n'aiderait pas un Etat
tyrannique, même s'il était constitué uniquement de musulmans" (178).
Ainsi, le premier devoir du leader doit être le shura, c'est-à-dire le devoir de
consulter le peuple, partenaire du contrat. La nomination des quadis (juges) et du muhtasib
(régulateur des poids et des mesures) est d'une importance particulière. La propriété est un
droit reconnu implicitement dès le départ (182). Puisque Dieu a tout créé pour que les hommes
en profitent, "Il a voulu que les droits de propriété soient garantis. Or l'homme n'est que
l'agent de Dieu et ... si des gains proviennent d'une source contraire aux conditions
fixées par le droit, ils cesseraient ipso facto d'exister" (182). Exemples de limitations : l'on
ne doit détruire des objets intentionnellement ; le blé ne doit pas être amassé (184).
Ibn Taymiyah n'est cependant pas prêt à effectuer un retour complet au marché
libre de l'époque du Prophète. Il exige une corporation pour chaque métier, afin de protéger les
marchands existants et pour empêcher des augmentations aléatoires de l'offre. Il s'oppose au
contrôle des prix "lorsque la tendance à la hausse des prix s'explique par une offre
insuffisante ou une augmentation de la population locale", mais y est favorable lorsqu'elle
est due à "l'injustice" qu'il explique par "le gain personnel arbitraire" (184).21
Ibn Khaldun : l'économie en tant que science
Ibn Taymiyah abordait des problèmes économiques spécifiques, mais son
approche était de caractère moraliste et non scientifique au sens moderne du terme. Il en va
autrement d'Ibn Khaldun (1332-1406). Il analysait les questions économiques objectivement,
ayant comme objectif de montrer les conséquences de différentes politiques. Il distingua son
approche historique de l'utopisme des philosophes influencés par la Grèce : "La 'cité idéale'
(des philosophes) est quelque chose de rare et lointain. Ils la traitent comme une
hypothèse" (Rosenthal 1967, II:38). Cette approche a incité certains scientifiques occidentaux
à considérer Ibn Khaldun comme un personnage laïc, ce qui revient à oublier le fait qu'il était
non seulement croyant, mais qu'il représentait le point culminant du mouvement revivaliste
discuté ci-dessus. Pour lui, prouver qu'une politique mandatée par Dieu est la meilleure du
point de vue social, revenait à démontrer que les lois économiques et les règles éthiques
avaient le même Créateur.
Pour Ibn Khaldun le facteur de cohésion qui donne naissance à l'Etat est le
concept d'asabiya : une sorte de solidarité sociale le plus souvent fondée sur l'affinité tribale,
mais qui peut aussi être basée sur une religion commune. Il traite du commerce et des impôts,
de la théorie des prix, il discute l'offre et la demande, les profits et les pertes, les monopoles,
l'importation et l'exportation et la thésaurisation. Il résume sa propre philosophie de la manière
suivante :
"Si ... les gens [dans une société politique] ne sont pas opprimés par ses lois et
ses restrictions, ils sont guidés par le courage ou par la couardise qu'ils
possèdent eux-mêmes. Ils se contentent de l'absence de tout pouvoir
contraignant. La confiance en soi devient une qualité naturelle pour eux.
C'est tout dont ils auraient besoin. Si au contraire le pouvoir légal relève de la
force brute et de l'intimidation, il casse leur force morale et leur prive de leur
pouvoir de résistance par l'inertie qu'il provoque dans l'esprit des opprimés."
(I, 258-259).
Ibn Khaldun est considéré comme le fondateur de la science sociologique. En tant
qu'historien, il critiquait la méthodologie traditionnelle en histoire qui traitait les récits comme
étant strictement des sources de moralité, sans souci du vrai ou du faux. Il préférait insister sur
l'analyse scientifique pour déterminer dans la mesure du possible les faits historiques objectifs,
puis rechercher les lois sociales que la marche de l'histoire est susceptible de révéler. A la
différence d'Ibn Taymiyah qui postulait la légitimité des droits de propriété, Ibn Khaldun justifie
la propriété par des arguments économiques, en citant le récit d'Al-Masudi du discours de
Mobedhan devant Bahram : "Les hommes ne subsistent que grâce à la propriété. La
culture [imarah] est l'unique voie à la propriété. La justice est le seul moyen d'atteindre
la culture." (I, 80)
Wehr (1976, 643) traduit imarah par "bâtiment, édifice, structure" ou
"immeuble, lopin de terre". De par le contexte, il semblerait qu'il faille considérer le terme
culture au sens large, et non limité à l'activité agricole (imarat-al-ard). Cela correspond avec22
l'affirmation d'Ibn Khaldun que le caractère unique de l'homme se définit par quatre
caractéristiques : les arts et les sciences ; le besoin de "limiter l'influence et l'autorité"
(Rosenthal 1967 I, 84) ; la nécessité de gagner sa vie ; la civilisation. Il insiste sur le besoin de
coopération entre les hommes et sur l'organisation sociale, car en leur absence, "le désir de
Dieu de peupler le monde d'êtres humains et de les y laisser comme ses représentants sur
Terre ne saurait se réaliser" (91).
La fonction de l'autorité politique est de défendre la stabilité de l'organisation
sociale contre les agressions et l'injustice car "lorsque la civilisation est devenue un fait, les
gens ont besoin de quelqu'un pour exercer une influence de mesure et les maintenir
séparés, puisque l'agressivité et l'injustice font partie de la nature animale de l'homme"
(91). C'est uniquement pour cette raison qu'une personne doit exercer l'autorité sur les autres,
"afin que personne ne puisse attaquer l'autre. Tel est le sens de l'autorité royale" (92).
Ibn Khaldun ironisa sur l'affirmation des philosophes selon laquelle le gouvernant bénéficie
nécessairement d'une inspiration divine pour restreindre l'influence de la loi religieuse, en notant
que la majorité de la population s'organise en communautés politiques sans l'aide d'une autorité
révélée (93).
La thèse d'Ibn Khaldun est qu'au début de leur règne, les dynasties sont
gouvernées par des hommes d'inclination bedouine, n'aimant pas le luxe. Leur existence
spartiate exige peu de choses de l'organisme politique et ils se consacrent exclusivement au seul
objectif de gouvernement esquissé plus haut. Le succès de leur gouvernement favorise
l'émergence d'une civilisation urbaine florissante. Le niveau élevé de prospérité provisoire
permet à l'Etat de détourner des profits pour le luxe. Mais à partir du moment où les effets
négatifs (dus aux coûts invisibles) de l'expansion de l'Etat deviennent notables, il est trop tard
pour changer, car la génération élevée dans le luxe aura perdu l'habitude de l'effort et du mérite
de leurs parents, qui assurait l'existence de l'Etat minimum. Au fur et à mesure que la dynastie
vieillit, les bénéficiaires de la civilisation urbaine et des allocations publiques
"s'habituent à l'oisiveté et la facilité. Ils sombrent dans le bien-être et le luxe.
Ils ont confié le soin de défendre leurs biens et leurs vies au gouverneur et au
prince, et à la milice chargée de les garder. Ils sont entièrement rassurés par
les murs qui les entourent et par les fortifications qui les protègent. Ils sont
insouciants et confiants, et ils ont cessé de porter des armes. Des générations
successives ont grandi avec ce style de vie. Ils ressemblent aux femmes et aux
enfants qui dépendent de leur maître de maison" (257).
Ibn Khaldun acceptait la perspective des rénovateurs selon laquelle le bayah
(serment d'allégeance) constitue un contrat bilatéral. Il note que le sage Malik "prononça la
décision juridique qu'une déclaration obtenue par la force était invalide ..." (429) et fut
persécuté pour cette raison. On sent son dégoût lorsqu'il remarque que, de son temps, serrer la
main au chef avait été remplacé par "saluer les rois en baisant la terre (devant eux), ou leur
main, leur pied ou le bord inférieur de leur habit" (429).
Voici la liste des fonctions de l'Etat, selon Ibn Khaldun (II, 3) :23
1 - "défendre et protéger la communauté contre ses ennemis"
2 - "appliquer des lois qui restreignent la population, afin d'empêcher des conflits
internes et des attaques contre la propriété privée. Ceci inclut l'amélioration de la
sécurité sur les routes"
3 - "inciter le peuple à agir dans ses propres intérêts, et ... surveiller des affaires d'ordre
général concernant son gagne-pain et des relations réciproques comme l'alimentation et
les poids et mesures, afin d'éviter les tricheries"
4 - "superviser la Monnaie pour prévenir la fraude monétaire
5 - "conduire les affaires politiques"
Les objectifs des points 2 à 5 sont clairement d'ordre économique. Il est
intéressant de noter que le point 4 autorise l'émission privée de monnaie, ce qui était en réalité
la règle au début de l'ère musulmane. Ibn Khaldun commente que des problèmes de fraude ont
poussé Abd-al-Malik à standardiser le dirham en 695-696.
La dynastie étend ses pouvoirs de diverses manières pour essayer de maintenir sa
politique de dépenses exubérante. A part la manipulation de la masse monétaire, il y a
l'imposition. Arrive un moment où le niveau d'imposition commence à nuire à la productivité.
"Il faut savoir qu'au début d'une dynastie, l'impôt engendre des recettes importantes
moyennant une petite assiette fiscale. A la fin d'une dynastie, l'impôt ramène de petits
revenus malgré une assiette large." (89)
Ibn Khaldun analysait et dénonçait également la concurrence de l'Etat avec le
secteur privé comme moyen d'accroître les recettes publiques. Une section de son ouvrage
Muquaddamah s'intitule "L'activité commerciale du gouvernant est négative pour ses
sujets et désastreuse pour les revenus publics" (II:93-96). Il précise que le gouvernant
détient des avantages injustes (94) : 1) il utilise les ressources de l'Etat pour concurrencer des
entrepreneurs privés ; 2) il détient le pouvoir d'imposition ; 3) il peut imposer des achats audessus
du prix du marché ; 4) il peut intimider les concurrents et les fournisseurs pour obtenir
des biens en-dessous du prix du marché. Les "difficultés financières et les pertes de profit"
qui en résultent "éliminent toute incitation au travail, ce qui détruit la (structure) fiscale"
(95). Lorsque les commerçants et les agriculteurs auront fait faillite, les revenus fiscaux tarissent
; l'Etat a fini par tuer la poule aux oeufs d'or.
"De plus, (l'activité commerciale de l'Etat) peut provoquer la destruction de la
civilisation et, par là, la destruction de la dynastie. Lorsque les sujets ne
peuvent plus accroître leurs richesses par l'agriculture et le commerce, cellesci
diminueront jusqu'à disparaître à cause de l'augmentation des dépenses
publiques. Ceci va ruiner leur situation. Il faut en être conscient." (95)
D'après Ibn Khaldun, il n'y a qu'une seule méthode efficace d'augmenter les
revenus de l'Etat, et elle passe "par le traitement équitable et le respect des gens et de la
propriété" pour qu' "ils soient incités à faire fructifier et accroître leurs capitaux". Sa24
conclusion est formulée sous le titre "L'injustice entraîne la perte de la civilisation" (103-
111) :
"Il faut comprendre que les attaques contre la propriété privée éliminent
l'incitation à l'acquérir. Les gens finissent par être persuadés que l'objectif et
la fin ultime de (l'acquisition d'un patrimoine) est de s'en voir privé. Lorsque
l'incitation à acquérir et à obtenir des richesses a disparu, les gens ne
s'efforcent plus pour en avoir. L'étendue et le degré des restrictions imposées à
la propriété déterminent l'étendue et le degré auxquels les efforts des sujets
vont diminuer ... La civilisation et sa prospérité dépendent de la productivité et
des efforts des gens à tous les niveaux pour favoriser leurs propres intérêts et
possibilités de gains." (103-104)
Ayant perdu le soutien de la population, l'Etat s'appuie sur la force.
"Même si la coercition apparaît à ce moment-là [vers la fin d'une dynastie] et
les revenus de l'Etat diminuent, les influences destructrices de cette situation
ne seront perceptibles qu'après un certain temps, parce que les choses de la
nature évoluent toujours progressivement.
Au cours des dernières années d'une dynastie, les famines et les épidémies se
multiplient. En ce qui concerne la famine, la raison en est que la plupart des
gens à ce moment-là renoncent à cultiver la terre. Car vers la fin d'une
dynastie apparaissent des attaques contre la propriété et, par la douane,
contre le commerce." (135-136)
La peste trouve son origine dans la dégradation de l'environnement (136-137).
Avec le déclin de l'asabyiah, le sentiment de groupe sur lequel la dynastie
reposait, l'Etat doit avoir recours à la coercition pour obtenir la coopération du peuple. A
mesure que l'autorité dynastique s'estompe, les échelons politiques inférieurs augmentent leur
pouvoir, ce qui entraîne l'éclatement politique et finalement la dictature.
Chez Ibn Khaldun, les concepts économiques qui apparaissent sous une forme
rudimentaire chez des auteurs musulmans antérieurs, ont trouvé une définition plus précise. Son
analyse du besoin de coopération sociale est à la hauteur de la discussion d'Adam Smith trois
siècles plus tard :
"Le pouvoir de l'individu ne lui suffit pas pour obtenir les aliments dont il a
besoin ... La quantité nécessaire d'aliments ne peut être obtenue qu'après une
importante préparation, impliquant de moudre le grain, de pétrir la pâte et de
produire le pain. Chacune de ces opérations requiert des ustensiles et des
outils, à leur tour produits grâce au savoir-faire du forgeron, du charpentier
et du potier ... C'est ainsi qu'un homme ne saurait survivre sans avoir recours
à une combinaison de compétences exercées par d'autres individus ... Par la25
coopération, les besoins d'un grand nombre de personnes, beaucoup plus
nombreux qu'eux, peuvent être satisfaits." (I, 89-90)
Ibn Khaldun semble avoir une certaine idée de la mobilité des populations. Après
avoir décrit comment les animaux ont tendance à se presser dans les endroits où ils peuvent se
nourrir, il écrit : "On peut comparer les foules d'êtres humains avec les attroupements de
bêtes, de même que les miettes des tables avec l'excédent de vivres et de luxe, ainsi que
la facilité avec laquelle ils peuvent être donnés par leurs propriétaires ..." Il montre
incontestablement qu'il a compris la loi de l'offre et de la demande lorsqu'il explique le
fonctionnement du mécanisme des prix. Il décrit par exemple comment le prix des biens de
consommation courante par rapport à celui des produits de luxe indique la puissance d'une
civilisation. Puisque la nourriture est un produit de première nécessité, la demande en est
toujours élevée. Dans une civilisation florissante, cependant, l'offre est également importante et
par conséquent le prix est faible. Il note toutefois que les catastrophes naturelles constituent une
exception, puisqu'elles provoquent une baisse de l'offre de produits alimentaires.
En expliquant comme la division du travail permet de produire des richesses
importantes qui, par l'échange, bénéficient à l'ensemble de la société et attirent des gens vers la
ville, Ibn Khaldun souligne aussi que l'injustice détruit la prospérité et la civilisation :
"Quiconque prive quelqu'un de sa propriété, l'exploite dans des travaux forcés
ou lui impose des demandes injustifiées, ou lui confère un devoir non requis
par la loi religieuse, commet une injustice contre cette personne. De même, les
gens qui collectent des impôts injustifiés commettent une injustice. Ceux qui
violent les droits de propriété commettent une injustice ... (II, 106-107)
Il faut savoir que c'est cela que le Législateur (Mahomet) avait à l'esprit
lorsqu'il condamna l'injustice." (107)
L'Islam et les systèmes économiques
Le Coran ne prescrit aucune forme obligatoire de gouvernement, ni de système
économique. Il fournit plutôt une base éthique avec des implications. Or la découverte de ces
implications fait l'objet d'une vive discussion chez les musulmans modernes. Puisque notre
examen de l'économie politique de la société islamique classique n'explique pas l'assertion
apparue au 20ème siècle selon laquelle la pensée islamique porte en elle les germes du
socialisme, je vais résumer ici mon analyse de cette question (cf. Ahmad 1986, 485-489).
Parce que les injonctions de l'Islam protégeant la propriété privée sont tellement
fortes, les musulmans de gauche tentent de justifier leur version du socialisme à l'aide des
préceptes islamiques de fraternité et la prohibition de riba. Par exemple, Shaikh Ameer Ali
(1982, 14) écrit :26
"Certes, l'Islam encourage le travail, stipule la responsabilité devant Dieu,
ordonne l'honnêteté dans les relations entre hommes et la prudence dans les
dépenses, souligne l'ordonnancement méthodique du temps et le calcul
rationnel, et approuve les gains légitimes et l'accumulation de richesses ; mais
il prescrit également des obligations et des responsabilités en ce qui concerne
les parents, la famille, les orphelins, les pauvres et les membres de la Umma.
La loi islamique sur l'héritage, l'institution du zakat et dans un certain sens
même l'interdiction de l'usure, sont des mécanismes intrinsèques destinés à
empêcher les richesses de tourner dans un cercle restreint. L'esprit islamique
véritable est en conséquence anti-capitaliste."
L'aspect anti-marché de la pensée islamique ne vient pas d'une conception erronée
de l'Islam, mais avant tout d'un malentendu sur l'économie de marché.
Cela n'a pas empêché les théoriciens musulmans de rejeter rapidement l'élément
clé du socialisme : la propriété collective des moyens de production. Ils voudraient lui substituer
une synthèse qui permet de concilier l'entreprise libre du libéralisme classique avec les objectifs
positifs du socialisme, en laissant de côté l'inconsidération capitaliste et l'autoritarisme socialiste.
Ainsi, Muhammad Ali (1944, 30) rejeta le communisme pour avoir "appliqué à l'extrême la
théorie fasciste en privant l'individu à la fois de sa liberté et de sa propriété", tout en
critiquant les partisans de la démocratie, qui malgré "leur théorie magnifique" opprimaient
"plus de la moitié de l'humanité". Même un "socialiste" comme Muammar Khadafi n'est
pas opposé à la conception coranique de la propriété privée :
"Le socialisme, tel que nous le concevons, implique que nous participons tous
de manière égale à la production, au travail et à la répartition des produits ...
de sorte que cette activité devienne une sorte de prière, et pour que les fruits
du travail ne restent pas le monopole d'une seule catégorie de personnes ..."
Alors que le mot 'socialisme' ... a été utilisé en Occident pour désigner
l'appropriation par la société des moyens de production, ce même mot en
arabe signifie association et travail en communauté." (Waddy 1976, 52)
La confusion de la justice sociale islamique avec l'idée occidentale du socialisme
est illustrée dans l'article de Mauloud Kassim Nait-Belkaiem, "Le Concept de Justice Sociale
dans l'Islam" (1978, 134-152). Il décrit la difficulté qu'eut Omar à trouver des gens assez
pauvres pour bénéficier du zakat (149), puis il cite Muhammad al-Mubarrah : "Dire que
l'Islam ne contient pas de socialisme est ignorer la nature du socialisme, et démontrer en
outre une incapacité de comprendre les leçons et les objectifs de l'Islam" (150) NaitBalkaiem
ne peut appliquer l'étiquette du "socialisme" à la justice sociale islamique qu'en
passant sous silence le principe coercitif du socialisme. Il déclare ouvertement qu'il le fait afin
d'attirer les jeunes gens influencés par la culture occidentale : "Attachons à cette justice
sociale n'importe quel nom, même celui de 'socialisme', puisque c'est celui que les jeunes
préfèrent de nos jours, pourvu qu'elle garde son acception originelle ..." (150).27
Le courant majoritaire de la pensée musulmane au 20ème siècle n'a été ni
capitaliste, ni socialiste, mais il ressemble à une tentative d'imiter les Etats-Providence
européens. La pensée islamique classique en matière d'économie politique confère un rôle
limité à l'Etat. Les dérives par rapport à ce modèle qui dominent le monde musulman actuel
sont motivées par un désir de développement industriel rapide par les moyens que les
décideurs politiques pensent efficaces. La renaissance islamique actuelle est un phénomène qui
s'oppose largement aux régimes socialistes. Les tendances anti-occidentales expriment
principalement une opposition à ce qui est perçu comme un impérialisme manifesté par des
régimes autoritaires ou étrangers, imposés ou défendus par les Etats occidentaux.
Conclusions
"Ceux qui de leur plein gré et sans subir de contrainte agissent d'après le
Livre (le Coran) et les Nouvelles (Hadith) portent le turban de la liberté."
(Khwaja-i-Jahan Mahmud Gawan cité par Sherwani 1970, 234)
Hayek (1970, 121) attribue à David Hume le principe voulant que, dans ses
objectifs positifs, l'Etat ne doit avoir "aucun pouvoir de coercition et doit être soumis aux
mêmes règles générales et infléxibles visant un ordre général en créant ses conditions
négatives : la paix, la liberté et la justice". Nous avons vu cependant que la possibilité
d'appliquer un principe absolu et général à l'Etat était un concept fondamental de l'Islam. La
société musulmane s'est peu à peu éloignée de ces principes, d'abord en imposant des
contraintes à la distribution des terres et l'augmentation des impôts, plus tard par l'intervention
étatique dans l'économie, et enfin la perte du respect pour la propriété et la liberté individuelle.
Mais jusqu'au 13ème siècle, les savants musulmans, largement indépendants de l'Etat,
continuaient de développer une jurisprudence fondée sur les sources de la Loi, d'après leur
conception. Une fois que la porte à l'ijtihad était fermée cependant, les réformes implicites de
l'analyse rénovatrice de l'économie politique musulmane ne pouvaient plus être mises en
oeuvre. La pratique se substitua à la nomocratie d'inspiration divine, et le monde musulman
commença un lent déclin vers sa situation actuelle.
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