D’un point de vue géographique, les Français opèrent aujourd’hui dans leur sphère d’influence, qui a été formée à la suite de la conférence de San Remo en 1920. Pour cette raison, l’armée de l’air française a lancé des attaques (le 27 septembre) sur la ville riche en pétrole de Deir ez-Zor, située dans le Nord-Est du pays, où en 1921 ils avaient mis en place une garnison militaire, qui a été incorporée dans une Syrie unifiée en 1946. L’empire colonial français, qui a été enterré en 1962 sous les décombres de l’insurrection en Algérie, n’a pas seulement survécu dans les esprits de l’élite politique, mais il montre aussi sa détermination à se réincarner.
Le paradoxe est qu’el-Assad, un alaouite, ne demande pas l’assistance militaire de Paris, qui, dans l’esprit des Syriens est un symbole du colonialisme européen pur et dur, mais celle de Moscou. L’Union soviétique s’est effondrée en 1991, mais les gens du Proche-Orient ont des souvenirs positifs de la présence soviétique dans la région. En ce sens, les frappes aériennes menées par l’armée de l’air russe sur les positions de Jabhat al-Nusra (Al-Qaïda) et Daesh marquent absolument les contours d’un nouveau cadre postcolonial pour le Proche-Orient, qui a été créé non pas par la diplomatie secrète, mais à travers la volonté de Damas et Moscou. Cela a provoqué l’indignation d’une France orgueilleuse. Pourtant, tout est fait d’une manière tout à fait légale : les actions de Moscou sont soutenues par un accord bilatéral (avec Damas) de traité d’amitié et d’assistance mutuelle. François Hollande ne peut pas cacher son ressentiment, et il accuse maintenant el-Assad de massacres [2]. Et ce n’est pas une rhétorique vide. Paris essaie de prétendre que cette question relève de la compétence de la Résolution 2005 sur la Responsabilité de Protéger (R2P), qui oblige le Conseil de Sécurité des Nations Unies à utiliser la force contre les régimes qui permettent le « nettoyage ethnique », le « génocide », ou les « massacres de masse ». Les Français n’ont pas perdu espoir. Après tout, le « truc » avait fonctionné avec le dirigeant libyen Mouammar el-Kadhafi.
L’influence plus forte de la Russie au Proche-Orient est un fait qui a déjà été reconnu par les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le Premier ministre David Cameron, qui maintenait une position intransigeante concernant l’emprise de Bachar el-Assad sur le pouvoir, dit maintenant que le leader syrien pourrait jouer un rôle dans un « gouvernement de transition », même si en public, il continue à le menacer d’un tribunal international, en travaillant en synchronisation avec Hollande. The Guardian a cité Cameron disant que « Jusqu’à présent, le problème a été que la Russie et l’Iran n’ont pas été en mesure d’envisager un futur état syrien sans el-Assad ».
Les Israéliens sont en colère, surtout après ces paroles de Poutine : « Nous respectons les intérêts d’Israël liées à la guerre civile syrienne. Mais nous sommes préoccupés par ses attaques contre la Syrie ». Langage diplomatique qui signifie en clair : ceci est un avertissement. Le ministre de la Défense Moshe Ya’alon a répliqué, « Israël ne coordonne pas ses opérations en Syrie avec la Russie ». Il estime que la frontière entre l’État juif et la République arabe syrienne est la prérogative exclusive de Tel-Aviv. Le Kremlin ne conteste pas cette position, qui découle de la vision israélienne des frontières futures du Proche-Orient (y compris Jabal al-druze). Le problème est ailleurs. Sans aide extérieure, Israël pourrait-il être prêt à survivre à un tremblement de terre politique dans le monde musulman ?