Frantz et Djaïna furent menés jusque devant la porte à battant qui avait refusée de s’ouvrir sous la poussée du jeune homme tantôt.
En s’ouvrant, le couple se sentit soudain portés par des ailes invisibles au coeur de la cour impériale Russe. Le décor rappelait la salle du trône* des Tsars de Russie au palais d’hiver à Saint-Petersbourg.
De part et d’autre il y avait des personnes inconnus et au bout de l’allée qui s’était ouverte devant lui et sa femme il y avait une personne debout. La gorge noué, ils s’avancèrent la main dans la main. Djaïna très intimidée baissait les yeux toute réconfortée par la pression de la main de son mari.
S’immobilisant enfin devant la personne qui leur tournait le dos, Frantz vit fiché sur le mur au dessus de leur hôtesse les deux épées qu’il avait vue sur le pont Charles à Prague.
Se tournant lentement vers le couple, la longue dame drapée fit face enfin. Djaïna sourit spontanément devant le visage réjouie de son hôtesse qui les salua avec une courtoisie royale.
-Je vous souhaite la bienvenue parmi nous, Madame et Monsieur, fit la jeune femme dans un Tchèque sans accent.
Frantz regarda droit dans les yeux de la jeune femme un court instant.
Il ressentit un choc, le regard que l’inconnue drapée avait posé sur lui était celui d’une personne qui le rencontrait pour la première fois, rien dans l’expression qu’avait reflété ses yeux ne donnait l’impression qu’elle le connaissait ou le reconnaissait, il était devant une inconnue et pourtant c’était bien elle, pendant un court instant très troublé il en douta “Etais-ce réellement elle ?”
Il eut tôt fait de se ressaisir, il devait soutenir sa femme et Djaïna en cet instant surtout comptait sur lui.
C’est pourquoi, il entendit stupéfait la dame inconnue se présenter ainsi :
-Vous devez d’abord savoir madame Djaïna qui je suis, je m’appelle Ekaterina l’arrière petite-fille du grand duc Michel Alexandrovitch de Russie et je suis la mécène de ce pensionnat que vous allez gouverner pour élever nos jeunes filles selon les traditions millénaires de l’Eglise Orthodoxe et les préparer à leur rôle naturel dans un environnement qui souffre de perte de repère et de valeur, j’ai pour souci majeur de former une génération de femme à même capable d’épauler nos hommes dans leur mission sacré d’oeuvrer à la gloire de nos patries.
La femme de Frantz avec une maîtrise parfaite de soi répondit :
-Je suis honorée de votre choix et de votre confiance Altesse et j’espère être à la hauteur de ma mission et vous donner pleine satisfaction.
Ekaterina Alexandrovitch eut un sourire fin :
-Pas de titre de noblesse, je vous prie, nous sommes tous citoyens libres de l’Europe donc appelez-moi simplement madame, si vous voulez de plus ample information, vous pouvez vous adresser à l’excellente madame Etuna.
Il vit sa femme évoluer avec aisance entre les prestigieux invités de la princesse Russe, elle parla longuement à un professeur Hongrois connu pour son oeuvre sur l’apprentissage de l’enseignement traditionnel. Un léger souper leur fut servi et la soirée prit fin tôt car pour la mécéne royale la grande duchesse Ekaterina Alexandrovitch, tout le monde devait respecter le fait que Djaïna devait commencer son stage le lendemain tôt.
La princesse tint à rester pour remercier tous les visiteurs qui avaient répondus à son invitation et elle fut la dernière à partir, au moment de le faire, elle se tourna vers Frantz et le stupéfia en lui disant :
-Il me semble Monsieur que vous me confondez avec quelqu’un d’autre.
Puis saluant chaleureusement sa femme, elle rabattit le capuchon de sa cape et partit au bras de son jeune mari qui s’était tenu à ses côtés durant toute la réception.
Confondu, Frantz resté sans voix vit le regard de Djaïna posé sur lui, un regard interrogateur.
Fatiguée par les émotions de la soirée, l’épouse de Frantz ne dit rien, elle s’endormit très vite.
A l’aube, elle s’éveilla pour trouver son mari les yeux ouverts :
-J’espère que tu as bien dormi Frantz, lui dit-elle dans la voix une note de sollicitude.
Il lui sourit affectueusement :
-Oui, n’ai crainte.
-Bien, je ne te dirais rien maintenant mais au déjeuner de midi, j’aurais à discuter avec toi.
Il la vit faire sa toilette, mettre l’habit de convenance et d’un geste preste, elle lui lança un salut amusé et partit.
Frantz avait bien dormi mais deux heures avant l’aube, il s’était réveillé avec une conscience aïgu du lapsus qui existait à présent entre lui et sa femme, il avait longuement réfléchi et avait mûri une décision “Je ne lui dirais toujours rien et je ne mentirais pas si je lui dirais que la princesse Russe a une ressemblance frappante avec une personne que j’ai croisé à Canberra et avec laquelle j’ai eu un échange professionnel tout au moins pour la dame drapée …”Se dit-il.
Est-ce que Djaïna se contenterait de cette réponse ou pousserait loin ? Je verrais je sais assez bien me tirer de cette situation en improvisant, se rassura t-il.
Puis, il avait concentré sa pensée sur la soirée de la veille et son héroïne, la grande Duchesse Ekaterina très perspicace avait su relevé son regard insistant sur elle et sa phrase sybilline, l’avait dérouté au début mais maintenant il allait la prendre à la lettre “Nous sommes tous citoyens libres de l’Europe donc appelez-moi simplement madame, si vous voulez de plus ample information, vous pouvez vous adresser à l’excellente madame Etuna.”
Et il allait de ce pas appliquer le fait.
Après une toilette soignée, il prit son petit déjeuner seul dans la grande et majestueuse salle à manger puis cherchant, madame Etuna, il fut conduit à son bureau au rez-de-chaussée.
L’accueil qu’elle lui fit lui apprit instinctivement, qu’elle escomptait sa visite.
-J’espère que tout va pour le mieux pour vous Monsieur, commença-t-elle.
Il approuva du chef en déclarant :
-Oh ! Votre hospitalité est excellente, je dirais même royale.
Un sourire effleura le visage grave de la directrice.
-Moi et Djaïna nous sommes Tchèques et apolitique et pourtant je sais que la famille royale Russe ne s’est pas prononcé sur l’agression militaire Russe sur l’Ukraine et comme je suis un homme soucieux de respecter les lois de mon pays, je veux connaître la position de la grande duchesse Ekaterina Alexandrovitch sur cette guerre injuste ?
Un silence se fit puis d’une voix égale, madame Etuna fit une réponse toute prête :
La grande duchesse est Russe, a un passeport Russe, réside en Géorgie et ne se mêle pas de politique et n’a qu’un seul voeu de voir les peuples Russes et Ukrainiens vivre en paix.
Le ton était définitif, ce qui voulait dire qu’il ne pouvait s’attendre à des explications plus étoffés.