- Je l’ai vu de mes propres yeux mon commandant, je vous prie  de me croire! Elle a traversée la muraille de la vieille ville à l’emplacement où se tiennent les vendeurs de fruits le jour du marché, et a disparue dans la ruelle menant au tunnel souterrain qu’on a ouvert il y a un demi siècle ! Fit le sergent chef Harout Kodamei.

Secouant la tête sceptique le commandant Aaron Sidom fit :

- Allons donc sergent ! Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi, vos hommes ces derniers jours n’ont pas cessés de s’imaginer voir une ombre vivante traverser mur, objet et homme, et maintenant c’est votre tour ! Fit le ton excédé le commandant.

- Comme vous, je n’y croyais pas. Mais devant la fréquence de ces visions chez mes hommes, j’ai décidé d’accompagner une patrouille ce matin à l’aube et j’ai pu me rendre compte par moi-même mon commandant, vous me connaissez suis-je homme à donner foi à ce genre de sornette ?

- Non c’est plutôt cela qui m’étonne, car comment expliquer ce que vous venez de me dire ?  
- C’est la vérité ! Cette ombre existe, est-elle un être vivant ou surnaturel ? Je ne sais pas quoi vous dire ! ! ? Fit le sergent chef en baissant la tête.

Pour la première fois dans sa carrière militaire et dans toute sa vie il se heurtait à une impasse, ce qui s'était passé le matin l’avait occulté dans un monde dont il n’avait  jamais  soupçonné l’existence. Aaron Sidom  intrigué demanda :

- Ecoute cela doit être un être humain …

L’autre l’interrompit en disant le ton précipité et sûr :
- Non, je n’ai  jamais vu de ma vie un être de chair et d’os traverser une muraille qui a pour âge huit siècle, sauf les prestidigitateurs. Alors  que cette ombre a flottée devant nous et nous a précéder dans la rue Ikmir. C’est un corps qui  n’a aucunement l’aspect humain, il n’a ni pied ni main ni tête. Que Jéhovah me maudisse si je suis en train de te mentir. Il faut me croire, je te dis la vérité Aaron !

- Tu dis ce que tes sens ont perçus Harout ni plus ni moins, et la chose perçue  comme telle n’a jamais été établi comme une vérité ! Fit le ton sévère Aaron qui voulait dissimuler à son ami et subordonné un étrange sentiment de malaise qui l’avait  envahi à la description fourni par le sergent.
Celui-ci levant les yeux vers le ciel :

- Je me suis toujours demandé ce que nous cachait ce ciel, qui n’est que l’arbre qui cache l’univers aux confins inconnus. Je ne crois pas qu’il y ait une autre vie que celle-ci n’en déplaise à Jéhovah, et ce que j’ai vu ce matin  ne me fera pas changer d’avis cependant  j’aimerais savoir le pourquoi de cette apparition. Il y a presque une semaine le soldat Hinami fut le premier à l’apercevoir  et depuis elle réapparaît chaque aube et va dans la même direction aux dires des hommes qui l’ont vus, ne veux-tu pas savoir ce que cache cette subite apparition et son étrange manège?

Aaron Sidom fit malgré lui :

- Non !

L’autre le dévisagea stupéfait :

- Tu ne me crois toujours pas ? Fit-il d’une voix tout à coup fatiguée.

- Si ! S’empressa de dire le commandant Sidom, seulement je n’ai encore rien vu, je ne puis donc me prononcer.
- Que dirais-tu de m’accompagner demain à l’aube et tu verras par toi-même ? Proposa d’emblée le sergent chef Harout Kodamei.
 
L’autre ne répondit pas puis d’une voix forcée dit :

- C’est bon on verra où tout cela nous mènera.
 

- Dois-je mentionner ce fait dans mon rapport ce soir ? Je sais d’avance que personne ne me croira et qu’il y en aura qui profiterait de l’aubaine pour se payer ma tête. Fit encore Kodamei.
 

- Non, il n’est pas nécessaire de jeter le trouble dans les esprits tant que nous n’avons rien de tangible, omet le tout simplement !
 
Aaron Sidom de retour à son bureau s’assit et cherchant son briquet afin d'allumer une cigarette, il y renonça. L’objet était introuvable, ses trous de mémoire devenus fréquents ces derniers mois, il ne s’en alarmait guère. Le froid de novembre qui régnait dehors lui avait fait rechercher la chaleur de la cigarette. " Je dois quand même me contrôler si je veux cesser de fumer." Se dit-il mécontent.

Sur sa table reposait la nouvelle carte de l’implantation Juive De Hur dans le quartier arabe Haret El Baki. Jérusalem-est était devenue pendant ces dernières semaines le théâtre d’un bouleversement monstre créant une atmosphère de suspicion extrême chez  les habitants d’origine arabe.  
Depuis que Beit Ech Charkh représentation de l’autorité Palestinienne avait été  définitivement fermé avec ces autres dépendances et l’annulation des accords d’Oslo s’était ensuivi une série de mesure qui avait fait monter la tension de plusieurs crans, il avait eu pour mission de redoubler de vigilance dans ce dernier carré Arabo-musulman de Jérusalem :                   

- Ajoutez l’huile sur le feu et nous chargez de maîtriser l’incendie sans pour autant l’éteindre est une mission impossible que vous me confiez mon lieutenant-colonel ! Avait-il dit une semaine plus tôt à son supérieur hiérarchique Ian Bekhim.

Celui-ci haussant les épaules dans un geste de dégoût avait répliqué :
- A qui le dis-tu ? Toi et moi nous nous contentons d’obéir aux ordres, depuis que les militaires au pouvoir politique  veulent temporiser au lieu de trancher, que veux tu que je fasse ?

De jour en jour, il devenait de plus en plus désabusé et cette histoire d’apparition venait de lui faire perdre les dernières parcelles de sérénité auxquelles il s’était accroché désespérément et cela en prévision des journées dures qui s’annonçaient décidément trop vite à son gré.
 

- Un Arabe Palestinien est devenu franchement incontrôlable de nos jours, avant cette foutue paix en les arrêtant, ils opposaient une velléité de résistance et puis il finissait par se faire tout petit à l’arrière du véhicule quand on les jetaient pêle-mêle dedans ; maintenant ils s’agitent tant et si bien que les abattre à coup de revolver est devenu impératif !  Lui  avait raconté la veille encore le responsable militaire de la sécurité des implantations Juives dans Jebel Abou Ghanim. Et comble de tout, il s’était disputé hier soir avec sa femme, celle-ci s’était plainte de ses absences répétés :
- Ton fils ne se souvient plus de tes traits et puis sais-tu qu’il s’est mis à suivre les cours d’un groupe religieux extrémiste  qui passe le plus clair de son temps planté devant le mur des Lamentations ? S’était-elle exclamé en colère.       

- Je ne le sais pas, je ne sais rien finalement et je te prie de te taire sinon je vais passer la nuit à la caserne ! Lui avait-il répondu à bout de nerf.  

- Eh bien vas-y ! Lui avait-elle criée en lui jetant ses effets personnels par terre. Lui tournant résolument le dos il avait quitté la maison. Il aurait voulu se diriger vers le mur des Lamentations, peut-être aurait-il retrouvé son fils et peut-être des mots de prière seraient montés à ses lèvres. Il avait besoin de prier et il avait autant besoin
d’une réponse de l’au-delà, cette lueur venait-elle de là-bas ?